Publié le 27/05/2024.

Ségolène Decayeux, février 2021

 

Le patrimoine scientifique et technique représente un défi à part entière pour les politiques de valorisation des institutions culturelles. Néanmoins, les initiatives sont nombreuses afin de redonner ses lettres de noblesse à ce patrimoine complexe auprès du grand public. Une réflexion sur les dispositifs de médiation est menée en profondeur afin de rendre ce patrimoine le plus accessible possible. 

« La science est un soleil : il faut que tout le monde s’en approche pour se réchauffer et s’éclairer »¹.

Le patrimoine scientifique et technique peut être défini comme un ensemble de biens, matériels et immatériels, ayant un intérêt du point de vue de l’histoire des sciences naturelles, de l’agronomie, de la médecine et des techniques, que l’on souhaite transmettre et préserver. Pour répondre à cet objectif, un ensemble d’institutions culturelles, à travers des dispositifs multiples, tentent de diffuser et de valoriser ce patrimoine auprès d’un public, le plus large possible.
Il est donc intéressant de se demander si l’objectif de valorisation du patrimoine scientifique et technique porté par les institutions culturelles est finalement atteint. Alors, comment est-il mis en œuvre, quels sont les obstacles rencontrés et pourquoi ?

Un patrimoine difficile à circonscrire

Lorsque l’on tente d’appréhender le patrimoine scientifique et technique, il est difficile de ne pas se heurter à certains obstacles. Parmi eux, sa définition. En effet, le patrimoine scientifique et technique rassemble les éléments ayant trait à la science. Or la science, étymologiquement, désigne le savoir. On peut donc imaginer l’amplitude du champ recouvert par le patrimoine scientifique et technique : de la géologie à la zoologie, de la physique à l’entomologie, en passant par les mathématiques et la technologie. Les possibilités semblent infinies, et recoupent même, parfois, des champs plus sociaux comme l’ethnologie ou l’anthropologie. Cette complexité constitue à la fois une richesse et une difficulté. Face à ce constat, comment créer une cohésion et une cohérence autour d’un patrimoine aussi varié ? Comment imaginer une valorisation efficace et claire autour d’autant d’objets différents ?

À cette complexité s’ajoute la double dimension du patrimoine scientifique et technique, à la fois matériel et immatériel. Sa matérialité est souvent bien connue et mise en avant par les institutions culturelles à travers leurs collections. Son immatérialité est, quant à elle, plus difficile à saisir. C’est à la fois, la « consistance biographique »² des objets, l’intelligence qui les a créés et son histoire, mais c’est aussi le processus de démarche scientifique. Cette pratique est propre au raisonnement scientifique et fait partie intégrante du quotidien des acteurs de la science, passé ou présent. La difficulté principale des institutions culturelles réside donc à mettre en valeur, à part égale, ces deux dimensions : transmettre au visiteur le goût de l’objet présenté ainsi que du raisonnement et de l’histoire qui ont précédé sa création. C’est l’histoire de la Pascaline, la première machine à calculer. Si cet objet a marqué l’histoire de la science, c’est à la fois pour la construction matérielle, pour le génie mécanique impressionnant déployé par Pascal afin de constituer l’ensemble des rouages qui compose sa machine et pour son objectif premier : faciliter le travail de son père, receveur des impôts.

La rencontre du patrimoine et du public : des cadres de pensée à reconstruire

La prise en considération du public et de ses besoins dans la démarche de valorisation représente un véritable défi pour les institutions culturelles. L’objectif est de transmettre le savoir au grand public. Mais finalement qui est ce « grand public » ? Qui le compose ? Ce public est pris comme un collectif duquel émerge des individualités indistinctes. Cependant, comme le rappelle Bernard Lahire³, le public, c’est avant tout un ensemble d’hommes pluriels. Pluriels parce qu’ils n’ont pas les mêmes attentes, pas les mêmes cadres de références, pas les mêmes cadres socio-économiques. En même temps, il est impossible de prendre en compte chaque individualité dans la conception des parcours de visites et des activités proposées. La complexité est donc de cibler un public large tout en proposant des offres adaptées dans lesquelles chacun pourrait se retrouver.

La méthodologie autour de la valorisation du patrimoine scientifique et technique est toujours en construction. Les institutions culturelles sont particulièrement actives et innovent sans arrêt afin de trouver la formule la plus adéquate pour la valorisation de ce patrimoine encore largement méconnu. Le futur du patrimoine scientifique et technique repose peut-être sur des perspectives déjà esquissées par les acteurs du milieu culturel. Plusieurs d’entre eux ont déjà commencé à tisser des liens afin d’ouvrir la science à d’autres disciplines. Ainsi, les musées font résonner la science avec l’art ou encore avec la culture populaire, multipliant les points d’ancrage de la science dans les cadres de référence du grand public. La création de ces liens passe avant tout par la redéfinition du statut du médiateur culturel. Il s’impose de plus en plus, non pas comme un passeur de savoirs mais comme un producteur de sens. La médiation, comme le soulignent Serge Chaumier et François Mairesse, devient « le processus d’interaction, d’alchimie qui anime les rencontres »⁴. Dans ce modèle, le public n’est plus, alors, un « mal-comprenant »⁵ passif et consumériste mais bien co-acteur dans la construction du savoir. Ce modèle du public engagement with sciences cherche à remettre l’individu, et non les institutions culturelles, au centre du processus de valorisation.

Une démarche nécessaire puisque le processus de patrimonialisation repose avant tout sur l’appropriation du patrimoine par les citoyens. En effet, le patrimoine est une construction collective à partir de l’intérêt porté à un élément par un ensemble de citoyens. Ces citoyens participent alors à la préservation, à la reconnaissance et à la promotion de ce patrimoine afin d’en défendre les intérêts. L’élément reconnu passe donc du statut d’élément quelconque à patrimoine par le biais d’un processus identitaire très fort. Cette démarche est d’autant plus pertinente que la science fait partie intégrante du débat public, à travers des problématiques éthiques ou climatiques, et qu’elle est présente dans le quotidien de chacun.

Une constante réinvention des outils de valorisation

Les institutions culturelles ne manquent pas d’imagination afin de renouveler leur rapport à la valorisation. Afin d’attirer un large public, nombre d’entre elles ont déjà misé sur l’expérimentation. Cette expérimentation passe par la pratique, une politique assumée par le Palais de la Découverte, par exemple, et d’autres centres de culture scientifique et technique, ne disposant pas de collection. Ainsi, le public se retrouve acteur de sa visite et apprend la science de manière ludique. Si cette politique a pour objectif « d’animiser »⁶ le patrimoine scientifique et technique figé derrière ses vitrines de musées, ces « machines à immortaliser »⁷ comme le rappelle Daniel Fabre, elle l’atteint finalement rarement tout à fait. En effet, l’expérimentation s’appuie souvent sur la dimension merveilleuse de la science. Dimension historique puisque, déjà, c’est elle qui dominait lors de la création des premières collections scientifiques au sein des wunderkammer ⁸ et plus tard encore, lors des expositions universelles. La science devient alors une attraction, ce qui a pour résultat de s’adresser certes à un large public, mais laisse parfois de côté la dimension historique et matérielle du patrimoine scientifique et technique. L’équilibre est difficile à trouver.

La valorisation du patrimoine scientifique et technique passe également par la désacralisation des sciences. C’est un axe de travail présent, ces dernières années, dans la politique de médiation des institutions culturelles qui sont amenées à travailler avec les universitaires. Des manifestations comme la Nuit des chercheurs ou des initiatives comme le réseau Expérimentarium ont pour but de créer un lien direct entre les chercheurs et le public. La communication n’est alors plus descendante mais horizontale proposant un dialogue entre les deux entités. La désacralisation de la science passe également par des associations inattendues notamment avec des objets de la pop culture comme la bande dessinée ou le jeux vidéo, sujet de plusieurs expositions proposées par des musées de sciences et techniques.

 

La valorisation du patrimoine scientifique et technique soulève donc un ensemble d’enjeux complexes pour les institutions culturelles. Ce riche patrimoine est finalement méconnu ou mal compris d’un large public qui a du mal à l’appréhender, notamment à cause de son sujet d’étude : la science. Afin de le rendre accessible au plus grand nombre, les institutions culturelles n’ont cessé de ré-imaginer leur paradigme de médiation. Si la pratique et l’expérimentation ne font plus débat dans les parcours proposés, leur apport pour les collections patrimoniales reste tout de même à préciser. Néanmoins, petit à petit, l’individu semble remis au centre des politiques muséales. S’il fait toujours partie du “grand public”, il est de plus en plus sollicité afin de participer activement à la création du savoir.

Ségolène Decayeux La valorisation du patrimoine scientifique et technique : enjeux et perspectives, synthèse de la partie recherche effectuée dans le cadre du mémoire de stage (février-juin 2020), master VNP 2ème année, sous la direction de Mme H. Rousteau-Chambon, janvier 2021.

¹ Figuier L., Les merveilles de la science ou Description populaire des inventions humaines, Préface T. 1, Paris, 1867.

² Entretien avec Catherine Cuenca, responsable de la mission PATSTEC. « Sauvegarder le patrimoine scientifique et technique », Revue e-Phaïstos, 2019.

³ Lahire B. L’homme pluriel, les ressorts de l’action. Paris. 1998.

⁴ Chaumier S., Mairesse F. La médiation culturelle. 2013.

⁵ Delavigne Valérie, « Quand le terme entre en vulgarisation », Terminologie et Intelligence artificielle, 2003, p. 81

⁶ Daniel Jacobi, « Sémiotique du discours de vulgarisation scientifique », Semen [En ligne], 2 | 1985, mis en ligne le 21 août 2007, consulté le 13 février 2021. URL : http://journals.openedition.org/semen/4291 ; DOI : https://doi.org/10.4000/semen.4291

⁷ Bortolotto C., Sagnes S., Daniel Fabre et le patrimoine. L’histoire d’un retournement, 2016. p. 45-55.

⁸ Terme allemand signifiant cabinet des merveilles, l’équivalent de l’expression cabinet de curiosités en français.

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